Rentrons dans le détail sur le retour d'utilisation du réalisateur Méhdi Salamé : ses points de vue sur l'usage de la caméra, la façon dont il a abordé la sensibilité offerte par le capteur S35 et dont il a travaillé l'image aussi bien en plans d'extérieur nuit que d'intérieur. Il s'appuie pour cela sur des comparaisons avec ses expériences de précédents projets, ayant déjà tourné en Super-16, tournant aussi régulièrement des projets institutionnels en EX3, et ayant également tourné son précédent court-métrage avec une PDW-F800 (gamme XDCAM 422). Nous y abordons aussi la question des optiques.

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Lumière pour les scènes d'extérieur, "limite trop sensible ;-)"

Sébastien Gaillard: Sur les scènes d'extérieurs, dont certaines de nuit, comment avez-vous abordé le travail de l'image. Et dans ces contextes quelle était la sensibilité de la caméra et ses limites ?

Méhdi Salamé, réalisateur : Bon déjà, pour bien comprendre, si on compare avec une EX3 il y a une différence de 12db en rapport signal bruit ! C'est-à-dire que même quand on commence à être limite avec la F3 on peut encore pousser à +3 ou +6 db et ça ne posera pas problème en post-prod, surtout dans des configurations comme les nôtres.

J'ai évoqué brièvement (NDLR voir ici) qu'on aurait presque pu tourner sans lumières, ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas en avoir ! Je suis très sensible à ça, j'aime beaucoup le métier de chef op et il est clair que construire une lumière c'est construire l'image. Bien au-delà de la technique et de la caméra, utiliser la lumière devient de l'écriture. Quand tout à l'heure j'évoquais le tournage sans lumière je parlais de tournage de nuit dans les rues de St Germain à Paris qui sont déjà très bien éclairées, je peux lire un bouquin à deux heures du matin debout dans la rue ! Pour moi ça a presque été embêtant parce que les lumières de la rue permettaient de donner du volume, et le fait de rajouter des lumières m'a en fait aplati l'image ! Or je n'aime pas du tout une image plate, je ne trouve pas cela cinématographique du tout. Il y a donc eu des plans tournés comme cela, et d'autres où j'ai dit « bon maintenant qu'on a tourné comme c'était prévu au départ, je vais faire mon petit dictateur et on va faire les mêmes sans la lumière », avec un esprit « on fait plaisir à tout le monde et on évite les dissensions », ce qui n'est pas évident !



Michel Rempenaux : justement j'ai été marqué par un plan de rue que j'ai trouvé un peu plat. Que peux-tu nous en dire sur la façon dont vous avez travaillé la lumière ?

Méhdi Salamé : La caméra est tellement sensible qu'il suffit qu'elle capte un tout petit peu de lumière et automatiquement elle perd de la profondeur, c'est le principe de base photo-sensible j'ai envie de dire. Dans la rue on était déjà à 0db de gain et on avait deux ou trois barfly et kino, je trouvais que ça faisait beaucoup. Donc à moins de fermer énormément le diaph, ce qui n'aurait pas été très drôle car on aurait perdu tout l'effet profondeur de champ très faible, on se retrouvait avec quelque chose de très plat. Au niveau de la sensibilité (et en se limitant à ce critère) je pense qu'avec une EX3 dans les mêmes conditions, la même lumière aurait été très bien et n'aurait pas dérangée, et au contraire aurait même créée des zones d'ombres qui moi me plaisent beaucoup, le côté « expressionniste » pour prendre un terme pompeux ! On va construire une ombre à droite, faire un grand aplat à gauche, reconstruire une ombre, j'aime bien cela. Ça aurait donc marché avec ces lumières que l'on a rajoutés à celle de la rue si on avait été avec une caméra bien moins sensible. Mais avec la F3 la solution a été de couper les lumières, et si on manque un peu on s'arrange pour placer le sujet dans la lumière « naturelle » (bon lumière naturelle à minuit on se comprend je parle toujours de l'éclairage de rue, d'un lampadaire, de la devanture d'un magasin), mais c'est amplement suffisant. On avait fait des test en prenant la F3 sans aucune lumière à côté du parvis du Louvre avant qu'ils n'allument l'éclairage public, bon là ce n'est pas possible en l'état, mais il a suffit d'une petite source, un fluo extérieur en barfly kino et cie, pour que déjà ça se passe bien.

Bon on ne connaissait pas très bien la caméra non plus, on n'a pas fait des keylight énormes avant le tournage en les développant autant qu'on voulait, faute de temps bien entendu, mais je pense que c'est une caméra qu'il faut bien dompter à ce niveau-là dans le sens où elle peut vite prendre trop de lumière.

La sensibilité (vue de la fenêtre du réal): F3 versus EX3

Michel Rempenaux : Si tu reviens sur la comparaison avec l'EX3 tu sembles donc évoquer un écart considérable côté sensibilité.

Méhdi Salamé : Oui, si au niveau du chiffre théorique l'écart n'est pas si considérable il l'est pour moi beaucoup plus à l'œil et dans les faits. J'ai filmé dans des hôpitaux avec l'EX3 dans des salles sans fenêtre avec juste deux-trois lumières au plafond qui à l'œil paraissent déjà bien claires mais une fois le plan filmé on voit au visionnage que c'est super « schwarz ». Dans des conditions inverses, c'est-à-dire quelque chose qui à l'œil parait très sombre et que l'on filme avec la F3 le plan se retrouve très agréable une fois sur le banc de montage !



Bon quand même on ne fera pas Barry Lindon avec la F3 quand même hein pour ceux qui connaissent bien la scène ! L'objectif que l'on avait n'est pas celui de la Nasa qu iouvrait à je ne sais plus combien [Michel Rempenaux : à 0.7] mais c'est quand même déjà vraiment bluffant. Là on n'éclaire plus par obligation mais on utilise les éclairages pour sculpter la lumière de l'image.

Noellie Aillaud, directrice de production : On avait quand même des ambiances très marquées avec un opéra, une salle d'opéra, un club de jazz dans lequel on voulait une ambiance particulière, et là la lumière a été utilisée pour faire une création d'ambiances et pas un éclairage. On avait une salle où rien que la découpe éclairant le personnage qui était sur scène suffisait aussi à éclairer les spectateurs et en capter leurs détails.

Une sensibilité utile au défi « tout faire en un mois »

Noellie Aillaud : Je rebondis aussi pour faire le lien avec ce qu'on disait tout à l'heure sur la préparation et les autorisations qu'il a fallu réunir très rapidement. La sensibilité de la caméra nous a sauvé la mise sur pas mal de situations pour nous éviter de demander des autorisations plus complexes avec plus d'équipe et de matériel. En nous évitant de mettre en place ces plus grosses structures ça nous a sauvés pour obtenir certains des lieux de tournage.

L'écran LCD de la caméra : "limite"; le mini moniteur OLED: le vrai juge de paix

Méhdi Salamé : Par contre il faut beaucoup se méfier de l'écran LCD de la F3, qui est beaucoup trop sombre par rapport à ce que la caméra a dans le ventre, il n'apporte pas le rendu de la réelle lumière captée par la F3.

Sébastien Gaillard :  Avez-vous de ce fait cadré avec le moniteur OLED ?

Méhdi Salamé : Oui et c'est une merveille dans le sens où la lumière que j'avais en visu au tournage est bien celle que j'ai dans mes plans sur le banc de montage au final. L'image est grande et belle sur ce retour, c'était vraiment un plaisir. Du coup on a utilisé ce retour dès l'instant où la caméra n'était pas mobile, ce qui fait un gros tiers des plans et aurait fait bien plus si on avait pu réaliser mes travellings dont je parlais tout à l'heure.

Travail de création lumière sur les scènes d'intérieur

SG : Tu nous a donné des exemples sur ton travail de l'image en extérieur. Qu'en a-t-il été en intérieur ?

Méhdi Salamé : Encore une fois on a pu se passer de beaucoup de lumière, la lumière étant vraiment là pour sculpter les plans. Ici nous sommes dans le bar qui a servi de décor au Jazz Club. Nous y avons eu un petit souci d'organisation car nous avions rendu les découpes trop tôt. Dans ce bar où on a une lumière tamisée assez sympathique, du fait de la capacité de la caméra à prendre la lumière même la plus faible, il nous aurait fallu travailler des découpes un peu plus franches afin de marquer des zones d'ombres très nettes. Alors c'est un bémol sur mes intentions même si c'est loin d'être dramatique au vu du résultat des images obtenues au final, mais sur le moment ça a été un petit coup d'échauffement.



Pour le théâtre on avait un set lumière qui avait été posé pour éclairer la scène mais aussi pour avoir un petit retour de latéral sur le public. Ce retour aurait pu être très joli avec des caméras peu sensibles, mais là avec la F3 je n'ai d'emblée pas supporté le résultat. J'ai donc imposé qu'on enlève la lumière sur le public parce qu'à la caméra et au contrôle au moniteur OLED, même si la source de lumière était très légère, ça donnait l'impression que le public était presque plus éclairé que la personne sur scène ! On aurait donc dit que le public était devant un écran de cinéma et pas devant une scène d'opéra. Or, sans lumière, avec juste la découpe de scène qui revenait légèrement sur le public, j'ai eu l'image que je voulais avec mon public dans le noir, sans ambiguité, et la caméra ne pose pas de souci pour capter ce type de plan en pénombre.



Donc voilà, cette caméra est vraiment un outil qui permet de travailler avec peu de lumière, mais en contre-partie il faut vraiment être attentif dans son travail de la lumière et se méfier de ne pas l'accompagner de trop de lumière.

Michel Rempenaux : On ressent donc un aspect important dans ce que tu dis, c'est que la caméra nous permet, si on le veut, de ne pas mettre de lumière sans que la qualité de l'image n'en pâtisse, et qu'on en revient vraiment à la lumière qui est toujours là comme un complément pour sculpter si on le souhaite...

Méhdi Salamé : Parfaitement.

"Quasi tout tourné à zéro db"

Michel Rempenaux : As-tu majoritairement tourné à 0db ?

Méhdi Salamé : Oui. J'ai uniquement rajouté du gain sur quelques plans d'extérieur de nuit où j'ai fait le choix de ne garder aucune lumière supplémentaire qui à mon goût aplatissait trop, et de ne tourner qu'avec les éclairages de rue. J'ai donc demandé de remonter le niveau général pour pouvoir en post-prod baisser la lumière par endroit où ça m'intéressait. C'est en effet toujours plus facile en post-prod de baisser de la lumière que d'en rajouter. J'ai donc ainsi évité une face trop sombre sur les visages, afin de bien récupérer une bonne exposition sur leur expression, et en post-prod à l'étalonnage je vais pouvoir baisser le niveau général et rajouter une petite vignette sur la face pour la garder avec l'exposition que je lui ai donné au tournage. Voir plan au TC 1.38 de bande annonce V2.

Travailler l'image : "et par rapport à la PDW-F800 ?"

SG : Par rapport à ton premier court métrage qui as été tourné avec une PDW-F800, quelle différence y-a-t-il eu sur ton travail de l'image ?

Méhdi Salamé : On avait une PDW-F800 qui est moins sensible mais qui est une vraie caméra d'épaule. Je ne m'était pas du tout occupé de la lumière et je l'avais complètement laissé au chef op. C'est sur cette expérience que j'ai décidé de m'y intéresser plus sur ce court-métrage-ci, de contrôler chaque plan avant tournage et dès que ça ne me plaisait pas de ne pas hésiter à le dire. Pour jouer avec la 800, on joue toujours avec une caméra, on avait du gros matériel qu'on n'avait pas ici : 10 Kw HMI, un jeu de mizards, de fresnels, même une grue, donc les conditions étaient vraiment différentes pour pouvoir comparer. Mais une chose est sûre, sans la lumière les ¾ des plans n'auraient pas pu être tournés avec la 800 , alors que les mêmes plans avec la F3 on aurait pu en tourner un bon tiers de plus !

Le choix des optiques, gare au loueur qui se plante dans les montures !

SG :  Vous êtes-vous contenté des optiques fournies ou avez-vous utilisé d'autres optiques pour certains plans ? Avec les optiques fournies, avez-vous quelques exemples pour nous donner votre retour sur ce que vous avez pu en tirer, leurs qualités et limites, votre ressenti sur ce kit livré avec la F3 ? Y-a-t-il une optique du lot de trois qui s'est dégagée et que vous avez plus utilisé que les autres, pour des raisons de focale ou d'ouverture par exemple ?

Méhdi Salamé : Pour les optiques, celles fournies étaient satisfaisantes, assez lumineuses. On aurait aimé avoir une focale plus courte, pour être plus à l'aise dans certains décors confinés, mais dans l'ensemble on était content.

En fait, on a loué (je ne sais plus où) un 16 ou 18 mm, qui devait être bon pour la F3, mais il y a eu une erreur du loueur et l'optique ne montait pas, et l'adaptateur n'est pas arrivé à temps pour que l'on puisse l'utiliser ! Le loueur s'est loupé en beauté en certifiant que le caillou allait bien avec la F3, et on lui a fait confiance à tort en ne faisant pas attention au type de monture.

L'optique que nous avons le plus utilisée était le 35mm, car la plus polyvalente pour la mise en scène. Mais on a pas mal jonglé, on s'est fait plaisir à essayer les 3. Au niveau de l'ouverture, je crois que les 3 avaient les mêmes caractéristiques. En tout cas on n'a pas eu de manque de lumière, car entre les optiques T2 (qui si je ne dis pas de bêtise donne un diaph entre 1,4 et 2) et la sensibilité de la caméra, on n'a pas souffert d'un manque de lumière. Et on a pu gérer la profondeur de champ comme on le souhaitait grâce à ce couple optique/sensibilité performant.

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